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« Le thé au Burundi : une économie en expansion »
mercredi 20 Kigarama 2017, par
Aux origines du thé ꞉ de la légende à la réalité
Le thé (camélia sinensis) est une plante de la famille de théacea, originaire de l’Asie du Sud-Est. La légende et l’histoire se mêlent pour expliquer les débuts de cette plante. En effet, la légende la plus répandue attribue la découverte du thé à l’Empereur civilisateur chinois Chen Nung (2 737-2697 avant notre ère). Un jour qu’il était assis sous l’ombre d’un arbuste, l’Empereur tenait une tasse remplie d’eau chaude qu’il avait l’habitude de prendre pour question de sa santé. Détachée de cet arbuste suite au vent, trois feuilles se jetèrent dans la tasse où elles infusèrent. L’Empereur, par curiosité, goutta cette boisson qu’il trouva délicieuse, en recommanda alors à son peuple et nomma cet arbuste : le théier. Plusieurs vertus furent donc attribuées au thé; il entra progressivement dans les échanges de la région.
Les premiers théiers furent mis en culture en -53 an en contrebas du plateau tibétain. Le thé, étant l’un des dons les plus précieux et les plus anciens que la Chine ait fait au monde entier, il fut connu au Japon grâce à l’initiative de deux prêtres bouddhistes qui en amenèrent des graines au début du IXè siècle de notre ère.
- L’OTB vient de commencer la fabrication du Thé Vert
Cette culture jouera une place importante dans les civilisations et les économies asiatiques pour gagner d’autres régions de la Planète.
« Depuis la Chine, en empruntant d’abord l’itinéraire des caravanes puis celui des compagnies maritimes, le thé mena une patiente conquête de l’Occident ».
Les Hollandais furent les premiers, en 1606, par la Vreeningde Ostindische Companie, Compagnie de l’«Orient lointain », à importer le thé en Europe ; suivis en 1657 par les Anglais, puis en 1700 par les Français. Ce furent les Anglais, et de loin, qui tirèrent le mieux leur épingle du jeu en obtenant le quasi-monopole des exportations à partir de Canton. Cette boisson entra alors facilement dans leurs habitudes culinaires : le thé sera beaucoup apprécié par les Occidentaux notamment au XIXè par des efforts de la recherche en botanique sur cette plante ainsi que des expositions universelles qui achevèrent de populariser sa consommation.
En plus, les empires coloniaux — en premier les britanniques — se chargèrent d’en implanter la culture partout où il était possible (exemple des plantations theicoles en Inde et à Ceylan). Durant plus de deux cent ans, les Européens ne consommèrent que du thé vert en provenance de la Chine et du Japon. La consommation du thé noir, amorcée à la fin du XVIIIè siècle avec des thés de Chine, ne devint réellement importante qu’à la fin du XIXè siècle, lorsqu’on disposa des productions coloniales indiennes et cingalaises, ce qui rendit possible la diffusion de ce produit à une plus large échelle mondiale.
En Afrique, le théier fut introduit au XIXè siècle dans le contexte colonial, d’abord pour la simple consommation, et ensuite pour l’entreprise commerciale. La culture commerciale du thé à grande échelle a été lancée par les Britanniques, au Malawi vers 1890. Vers 1900, des tentatives de plantations ont eu lieu en Uganda et au Zimbabwe puis au Kenya en 1920, suivi par la Tanzanie, tandis que les Portugais introduisent le thé au Mozambique vers 1920.
La crise économique et les guerres mondiales de la première moitié du 20è siecle furent les défis majeurs à l’expansion du thé. La fin de la Seconde Guerre Mondiale constitue un tournant décisif pour le développement de la théiculture villageoise. C’est ainsi alors que, au cours des années 50, le thé entre dans les politiques agricoles du Cameroun, du Rwanda, du Congo et du Burundi tandis que des planteurs hollandais introduisent le thé en Afrique du Sud vers 1964, et en 2006 la première plantation de thé est crée en Ethiopie.
Cet arbuste trouva alors des conditions très favorables dans les hautes terres de l’Afrique orientale; le Kenya deviendra le grand producteur. Le thé avait été introduit pour la première fois dans les stations de recherche agronomiques du Rwanda-Urundi et du Congo par l’administration coloniale belge vers les années 1930.
Le thé au Burundi : une économie nationale en mutations et en expansion
Le thé fut essayé à partir de 1930 à la station agronomique de Kisozi en pleine administration coloniale belge, mais le contexte économique de crise économique et de guerres mondiales est parmi les facteurs qui n’ont pas facilité l’affaire. Cette plante reviendra à la fin des années 50, sous le financement de la Commission Européenne, pour diversifier l’Economie nationale et améliorer les revenus monétaires des paysans; et sera donc pratiquée dans les domaines étatiques d’une part (22,1%) et dans les petites exploitations familiales d’autre part (77,9%). Le thé deviendra la deuxième culture d’exportation par ses recettes (autour de 25%) après le café (60%). Si ce dernier occupe une grande partie du pays, le thé est la culture exclusive des hautes terres (plus ou moins un quart du territoire national) et est pratiqué par plus de 60mille ménages, tandis que l’OTB est une entreprise publique qui contrôle au tour de 10 000 Ha de plantations theicoles étatiques que paysannes, reparties en 5 régions théicoles (du Nord au Sud) Buhoro, Rwegura, Teza, Ijenda et Tora.
L’OTB achète les feuilles vertes aux théiculteurs, assure l’usinage du thé noir et oriente le produit fini vers les différents marchés dans le monde. A partir des années 2000, on constate la montée de l’influence du thé dans les recettes d’exportation. Cette situation est expliquée par les performances enregistrées dans le secteur théier comme l’accroissement du rendement des exploitations (de 2007 à 2011, le rendement à l’Ha est passé de 4 428 tonnes de feuilles à 5 371 tonnes), celui des usines, le marché rassurant, mais également par la régression progressive de la rente du café. Le volume des recettes theicoles ne cessent donc de s’accroître: par exemple en 2009, elles n’étaient que 16,17 millions de dollars américains; puis 18,78 millions en 2010; 21 millions en 2014 pour atteindre 32 millions de dollars en 2015.
Alors qu’une loi sur la libéralisation de la filière thé est signée en 2007, une nouvelle entreprise privée Promotion du thé à Mwaro (PROTHEM) a commencé difficilement ses activités en 2011, entrainant la concurrence et la majoration du prix payé aux exploitants. N’ayant pas pu financer l’extension de nouvelles plantations, d’autres usines privées ont voulu s’y lancer mais n’ont pas encore commencé l’étape de la fabrication du thé.
- Docteur Joseph BUTORE en visite au Complexe Théicole de Buhoro (Province Cibitoke) ce lundi le 18 décembre 2017
Il y a lieu de constater globalement que des initiatives telles que la libéralisation, le mouvement associatif, la microfinance, la certification, la diversification, les financements, etc attestent l’importance des dynamiques en cours. Mais, on peut aussi se demander si ce succès relatif de la théiculture au «sommet», est-il visible et profitable à la «base», c’est à dire au niveau de l’amélioration des conditions de vie des paysans exploitants?
Le thé et l’Economie paysanne : richesse ou subsistance?
Même si, au cours des années, le prix au producteur a évolué presque à la même tendance que le prix du marché global, la détérioration progressive des termes de l’échange en défaveur du théiculteur a entrainé la régression de son pouvoir d’achat. Par ailleurs, l’exigüité des parcelles, le problème de la main d’œuvre, etc ne permettent pas au paysan de constituer une « richesse », c’est-à-dire d’avoir une somme importante pour penser à l’investissement. Ainsi, au regard des différentes sources de revenus des ménages, le thé occupe la 3 ou 4 ème place. Cette somme sert à l’achat des vivres, à la scolarisation des enfants, en peu moins aux soins de santé. Maigre soit il, le revenu théicole constitue une source financière régulière permettant au paysan de satisfaire tant bien que mal son quotidien immédiat.
Pour conclure, après un demi-siècle de pratique du thé, il y a lieu de constater que cette plante constitue une économie tant nationale que familiale en pleine mutations et en expansion. Alors que le thé est une deuxième économie nationale, il est la 3è ou 4è source de revenu des ménages des hautes terres. On peut également penser que les mutations en cours (la libéralisation, la certification, le mouvement associatif, la diversification, la microfinance, etc ) constituent des garanties pour un avenir meilleur pour le secteur théicole à condition que les différents acteurs prennent en comptent l’amélioration des conditions socio-économiques des producteurs.
Par Eric Ndayisaba (Doctorant Université de Pau et des Pays de l’Adour/ Enseignant à l’ENS), Décembre 2017
Egide NDUWIMANA